dimanche 28 janvier 2018

Séminaire de gastronomie moléculaire du Centre International de Gastronomie moléculaire

Séminaire de gastronomie moléculaire du
Centre International de Gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra le 20 novembre 2017
Centre Jean Ferrandi (Chambre de commerce de Paris)
Thème :
1. Peut-on éviter d'avoir le nez qui pique, après avoir mangé de la moutarde, quand on sentdu pain ?
2. Les os dans le bouillon en changent-ils le goût ?

2- Le thème du mois :
Nous avions retenu deux thèmes.
1. Peut-on éviter d'avoir le nez qui pique, après avoir mangé de la moutarde, quand on sent du pain ?
2. Les os dans le bouillon en changent-ils le goût ?

2.1. Peut-on éviter d'avoir le nez qui pique, après avoir mangé de la moutarde, quand on sent du pain?

On utilise une moutarde Quality de Transgourmet.

Un premier dégustateur vérifie que la moutarde pique le nez. Elle fait même monter les larmes aux
yeux.
Pour un second dégustateur, il y a une confirmation.
Un troisième dégustateur confirme que la moutarde pique après un certain temps, mais pique aussi
la langue.
On mesure alors le temps, après la mise en bouche, après lequel le piquant est perceptible, puis le
temps après lequel le piquant disparaît.
Pour le premier dégustateur qui a fait de nombreux tests préliminaies, le piquant apparaît à 15 s et
disparaît à 24 s. Toutefois, pour celui-là, la sensation s'émousse, et nous le remplaçons.
On teste ensuite :
- on met la moutarde en bouche, puis on inspire par le nez et on expire par la bouche
- on met la moutarde en bouche, puis on inspire par le nez et on expire par le nez
- on met la moutarde en bouche, puis on inspire par la bouche et on expire par le nez
- on met la mouterde en bouche, puis on inspire par la bouche et on expire par la bouche.
Les différences sont difficiles à évaluer.
Finalement, on décide de comparer les temps pendant lequel on sent le piquant, avec ou sans pain
que l'on respire (après avoir vérifié qu'il y a cohérence des réponses des diverses personnes testées) :

1. 9 et 13 s sans pain, puis 18 et 27 s avec pain
2. 6 et 19 s sans pain, idem avec pain
3. 6 et 20 s sans pain, 8 et 22 s avec pain
4. 21 et 30 s sans pain, 18 et 33 s avec pain

On conclut que, vu les incertitudes, on n'a pas d'effet manifeste du pain.
Enfin, on observe que le piquant est augmenté quand on mastique le pain.
Pour interpréter les phénomènes, on observe que la moutarde contient de l'isothiocyanate d'allyle,
qui stimule les récepteurs du nerf trijumeau (un nerf dont les récepteurs détectent les composés
piquants ainsi que les composés frais). Pour les récepteurs trigéminaux du nez, le mécanisme est
analogue à celui des composés odorants, ce qui expliquerait l'effet lors de la mastication. En
revanche, on observe la possibilité d'une différence interindividuelle.
Lorsque l'on respire par le nez, on fait venir l'air à contre courant des molécules à effet trigéminal
qui monteraient vers les récepteurs trigéminaux par les fosses rétronasales… mais l'effet n'est pas
observé.

2.2. Les os dans le bouillon en changent-ils le goût ?

Les précisions culinaires sont nombreuses, à ce propos.
1856 : Urbain Dubois, Emile Bernard, La cuisine classique (deux tomes), 1856, rééd 1999, Ed.
originale : chez les auteurs, rééd. Manucius, Paris, p. 19 :
« On s’exagère un peu les qualités des os de boeuf comme auxiliaire de succulence dans les
bouillons […]. Tout le monde sait que les os contiennent des parties gélatineuses ; mais ce qu’on ne
sait pas assez, ce qu’on ne cherche pas, tout au moins, à s’expliquer, c’est que les qualités de cette
gélatine sont très contestables, parce qu’elle se trouve encore à l’état impur, accompagnée de
phosphate de chaud et de carbonate de chaux, qui lui sont communs et qui lui communiquent un
goût nauséabond impossible à corriger avec les moyens trop simples dont nous disposons en
cuisine ».

1892 : Lucien Tendret, La table au pays de Brillat-Savarin, Lyon, 1892, réed. 1986, Éditions
Horwarth, Paris, p.26 :
« Non seulement les os n’apportent rien au bouillon, mais ils absorbent les sucs les plus nutritifs. Ils
sont composés de phosphate de chaux et de gélatine, substance sans saveur et sans utilité pour
l’alimentation. Si l’on place des os dans le pot-au-feu, la gélatine, dont les pores sont remplis, est
dissoute et lorsqu’ils sont vides, ils se garnissent des sucs de viande tenus en suspension dans le
liquide ».

1897 : Auguste colombié, Cuisine et pâtisserie bourgeoise, t. 3, A. Réty, Meulan, p. 273 :
« La marmite et les os. Une double discussion s’est élevée au sujet des os et de la marmite en
cuivre ou en terre : voici mon opinion, après de longues expériences. Les os sont toujours réputés
faire d’excellents pot-au-feu, par les boucher ; c'est, du reste, leur réjouissance. Pour moi, ce n’est
qu’un gros embarras : la gélatine qu’ils renferment rend le bouillon laxatif, mais non nutritif. 
Il faut donc les réserver pour les cas spéciaux où le bouillon devrait être légèrement purgatif et
rafraîchissant. »

1899 : Jean de Gouy, La cuisine et la pâtisserie bourgeoises, 1899, réed 1903, J. Lebegue, Bruxelles
et Paris, p. 73 :
« Les os sont excellents pour le bouillon, pour autant qu’il n’y en ait pas en trop grande quantité, 
car une partie de la gélatine contenue dans les pores des os finit par se dissoudre, et les vides qu’elle
y laisse se garnissent des sucs de la viande, tenus en suspension dans le bouillon ; aussi après une
ébullition de cinq à six heures, l’os devient excellent à sucer, car il a absorbé les meilleurs éléments
du bouillon. Nous conseillons à nos lectrices, de n’ajouter les os, si elles en auraient en grande
quantité, que lorsqu’elles auront retiré de la casserole la viande et le bouillon nécessaires au repas :
de mouiller d’eau froide jusqu’à complète submersion et de laisser cuire lentement pendant
quelques heures ; elles obtiennent un second bouillon fort présentable ».

1900 : Le Chasseur Français, octobre rubrique "A nos lectrices" :
"Lorsqu'on place un os dans le pot-au-feu, une partie de la gélatine contenue dans les pores de cet os
finit par se dissoudre, et les vides qu'elle y laisse se garnissent des sucs de la viande tenus en
suspension dans le bouillon. Aussi, après une ébullition de cinq à six heures, le potage se retrouve
privé de ses meilleurs éléments."

1902 : Manuel domestique, Librairie catholique Emmanuel Vitte, 1902, Lyon-Paris p. 4, recette de
bouillon d’os, à partir d’os pilés :
« Comme plusieurs pourraient s’étonner de ce genre de potage, voici un léger aperçu de ce qu’en
pensent les physiologistes. Ils regardent la matière gélatineuse des os comme éminemment chargée
de vie, et produisant plus de corpuscules animaux qu’aucune autre substance animale. Les
expériences faites à ce sujet prouvent qu’un kilogramme d’os fait un aussi bon bouillon que six
kilogrammes de viande. Considéré sous le rapport diététique, il lui est même préférable, comme
étant à fois très nourrissant et plus réparateur, plus salutaire et plus facile à digérer. Aussi est-ce un
principe admis en physiologie que la gélatine des os abonde en suc nourriciers qui s’assimilent
presque sans altération à nos organes et les réparent en peu de temps ».

1909 : E. Auricoste de Lazarque, Cuisine Messine, 1909, Sidot frères, Nancy, 4e ed, p. 16 :
« Un os de veau y est bon aussi, mais il faut se garder de le mettre en même temps que le boeuf ;
moins dure et plus vite cuit, il se ramollirait et troublerait le bouillon ».
1910 : La nouvelle cuisinière habile, Mademoiselle Jeannette, Le Bailly, Paris, sd (vers 1910), p.
17 :
« Bouillon d’os. Une livre d’os pilés donne un bouillon aussi substanciel que six livres de viandes.
Une livre d’os de jeunes animaux donne autant de gelée que douze livres de viande. Le bouillon
d’os est préférable à celui de viande. C’est le bouillon du convalescent et surtout du fébriatant : les
os qui sont cuits avec la viande sont les meilleurs ».
On voit que la plus grande incohérence règne. Dans certains cas, il y a reprise de lieux communs,
mais aucun auteur ne signale d'expériences précises.
Pour nos expérimentations, nous faisons des bouillons avec la proportion (recommandée par des
professionnels) de 2/3 viande et 1/3 eau froide.
Nous pesons deux casseroles C1 (contiendra les os) et C2 (sans os) : masses respectives 970 et 997g.

Pour chaque casserole, nous ajoutons 407 g de paleron (même morceau) et 383 g de plat de côte. On
ne sale pas, et l'on ajoute 625 g d'eau pour mouiller à hauteur.
Dans la casserole C1, on ajoute 208 g d'os non concassés (3), avec un peu de chair adhérente.
Les casseroles sont mises à chauffer ensemble, sur la même plaque, à 16 h 12.
En cours de cuisson, on observe de l'écume et de la matière grasse qui vient flotter. Les bouillons
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ont la même apparence. Ils sont sortis du feu à 17 h 23, et une dégustation triangulaire est organisée.
Avec un total de 4 dégustateurs, à raison de 3 tests par personne, on observe 8 bonnes reconnaissances, 3 erreurs.
Pour les bonnes reconnaissances, les jurys trouvent plus de goût pour le bouillon avec os (le
professionnel reconnaît sans difficulté, sans erreur).

3- L'acclimatation de la cuisine note à note

On fait une expérience pour montrer que c'est la proportion de protéines coagulantes qui détermine
la fermeté. On part d'un mélange 50/50 de protéines (poudre de blanc d'oeuf) et d'eau.
Une partie de ce mélange est versé dans un premier récipient.
Puis on ajoute de l'eau dans le reste, et une partie de la solution obtenue est alors versée dans un
autre récipient.
Et on répète deux autres fois l'opération.
Finalement, on obtient ainsi quatre récipients ayant des proportions décroissantes de protéines.
Les quatre récipients sont simultanément chauffés au four à micro-ondes, pleine puissance, et ils
sont simultanément sortis après 35 secondes de cuisson :
- la solution la plus concentrée est dure comme une viande
- la deuxième solution est dure comme un blanc d'oeuf
- la troisième solution est transformée en un gel plus mouiller
- la quatrième solution est restée liquide (la concentration en agent gélifiant était sans doute
inférieure à 5 pour cent).

Voir http://blog.enil.fr/experiences-precision-culinaire/
3 On rappelle que l'on nomme « précisions culinaires » des apports techniques qui ne sont pas des « définitions ». Cette
catégorie regroupe ainsi : trucs, astuces, tours de main, dictons, on dit, proverbes, maximes...          Voir Les précisions culinaires, éditions Quae/Belin, Paris, 2012.

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